Home Art de vivre La mode peut-elle faire son « Mai 68 » ?

La mode peut-elle faire son « Mai 68 » ?

by Manon Renault
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Système à bout de souffle : surproduction, perte de la créativité, conformité à des standards dictés par une élite momifiée. La mode doit se ré-inventer. Depuis 3 ans Lidewij Edelkoort organise à Marseille les cycles de rencontre Anti_fashion. Le but : repenser le système. Un lieu ou les décisions se prennent, du coup le lieu devient convoité. Pour preuve : Tout paris se retrouve à Marseille. Parce que être anti n’a jamais semblé si in, le caractère disruptif de L’anti_fashion project peut-il durer ? Le caractère incisif peut-il être préservé des sirènes marketing ?  La mode et la politique sont-ils antinomiques ?

La question des liens entre la mode et la politique pose problème. Largement perçue comme un domaine frivole et mercantile, la mode est mise à l’écart du corps politique. Pourtant

Pourtant …   « Le Beau : arme politique », Vanina Géré ,2 octobre 2012.

« Why Fashion Has Every Right To Be Political Right Now ? »  ( « Pourquoi la mode a-t-elle tout les droits d’être politique en ce moment ? » Kyle Munzenrieder, 18 février 2017 , W)

« When Politics Became a Fashion Statement » (Quand la politique devient une déclaration mode, Vanessa Friedmann, 13 décembre 2016 )

L’art est-il fait pour délivrer des messages politiques ? Soulevée par Sartre au milieu du XXe siècle, la question de l’engagement politique de l’œuvre reste très actuelle.

 


Crédibilité Zéro ?

La mode : un art/marchandise. Les détracteurs accuseront la mode de se résumer à un vaste cirque marketing. Écolo, Made in France, zéro déchet : peu importe. Tout est business. Il faut dire que la mode a tendu des perches pour nous autoriser de telles suppositions.

En réduisant Mai 68 à des réminiscences glamour de la nouvelle vague, l‘industrie du luxe se coupe de tout potentiel politique. La mode apparaît comme un appareil qui dépolitise les luttes. Dernier exemple en date: Gucci. 

Gucci 1968 Vs Paris 2018

À l’orée des 50 ans de Mai 68,  la mode a t-elle son mot à dire? Alors que la lutte pour l’accès au savoir est plus que jamais d’actualité, que les universités ont organisées des blocages, et que les contestations montent, la mode nous vend des pancartes dorées. Depuis sa tour d’ivoire, la capitale de la mode ne goûte que timidement à cette disruption. La mode se contentera de naviguer au milieu des images arty de la nouvelle vague, plutôt que de questionner ce qu’il reste de mai 68 ?

Pour sa dernière campagne publicitaire, Gucci puisse dans le terroir 1968. Images lissées en noir et blanc, ou les jeunes récitent du Rimbaud. Une imagerie directement héritée des fantasmes des films de Truffaut, ou  Godard. La filiation devient plus qu’explicite lorsque Jean-Paul (Belmondo?!) récite L’éternité, que Ferdinand, Pierrot le fou, Belmondo récite lui-même avant de se faire exploser la gueule.

Un look mocassin et lunettes pour bien lire les textes imprimés sur papier bible : un look bourgeois pour des élèves qui n’habitent pas l’université. Ils ne l’occupent pas : ils se contentent d’être un brin révoltés, assis dans une classe, ou la disposition indique qu’il n’existe qu’un seul dispensateur de savoir : le professeur. Gucci sert des structures cloisonnantes, qui opposent le corps enseignant à des étudiants en « littérature » faussement actifs. Sciences dures versus littérature + formulation des savoirs par le corps enseignant + petits billets qu’on se passe en cachette = une représentation passéiste et romantique de la circulation des savoirs, de l’élaboration des révoltes. Un blocage sur la notion de blocage.

L’université est un fantôme, les jeunes sont dans les rues. En 2018 les étudiants font de leurs revendications un mouvement fort, en se réapropriant le lieu universitaire comme espace de savoir. L’occupation d’une université n’est en rien une action figeante .C’est l’occasion de la mise en place d’une auto-gestion ou les étudiants, les équipes dirigeantes et le personnel de maintenance contribuent à l’idée d’une université en vie ; s’unissent, réfléchissent et expérimentent.

Espace de représentations, Espaces en Luttes ?

« If you want to have a voice, you can’t walk around it. If you have a voice, use it.” Raf Simons.

La Mode procure des images qui circulent beaucoup mieux que des tracks étudiants. Cependant les symboles des luttes sont dissimées , décontextualisées. Résultat ? Gucci fantasme sur l’intello de Mai 68, artiste ténébreux posant un pavé à la main pendant que des étudiants se battent pour entrer librement dans les universités. Tout le monde n’a pas réglé le bouton volume à la même intensité pour s’exprimer …Les pavés forment de drôles de podiums.

Mai 68 c’était quoi ? Une lutte pour être représenté, et redéfinir des étiquettes sociales qui ne décrivaient plus ce qui se déroulait. Un lutte qui dépasse les frontières parisiennes et dont les acteurs sont aussi des ouvriers. En bref une lutte pour trouver un nouveau langage, plus adapté à l’époque, aux préoccupations dans un monde social ou les enjeux mutent.

Dans l’industrie de la mode, les acteurs se retrouvent criblés par des problématiques simmilaires, comme l’illustre les cycles de conférences anti_fashion. Pourtant on ne peut s’empêcher d’éprouver un léger malaise quand on voit que derrière le mot mode se dissimule aussi des t-shirt Dior » We should All be a féminist » hyper « powerfull » et hyper « cher ». Combien ça coute d’être féministe ? 

La mode: un art comme un autre

« La peinture participe-t-elle au dévoilement historique de la vérité ? Quel est le pouvoir de l’art aujourd’hui dans le devenir du monde ? » Si Gilles Alliaud pose ces questions à propos de la peinture, qu’on accorde à la littérature le droit d’être engagée et au cinéma d’être politique, pourquoi la mode doit-elle rester frivole ?

La mode nous concerne tous. Il s’agit de se définir à travers la manière de se présenter au monde. Soit on choisit  d’entretenir une identité sociale prédictible, soit on renverse tout. Exit la classe sociale, le genre ou la race fixés à la naissance.

L ‘anti_fashion vient affirmer la force du vêtement contre la vanité en allant chercher dans les produits même de la consommation les composantes de son projet. L’anti_fashion ne veut pas dire adieu à la mode, elle refuse ce qu’elle considère comme la froideur du luxe.

Penser la mode , au même titre que les autres arts

En considérant l’existence de plusieurs visions de la mode, il serait intéressant d’esquisser une histoire des mouvements et  des courants. Pour cela il nous reste encore à accorder à la mode une histoire et une sociologie…

Ce projet d’une histoire des courants artistiques, permettrait de distinguer les mouvements des courants : c’est à dire les groupes réunis autour d’une idéologie commune et justifiants de règles. Un projet ou les acteurs de la mode ne seront plus surdéterminés par un cahier des tendances, mais se constitueront autour de projets communs. L’anti_fashion, la mode futile coexistent : chacune doivent être jugées à l’aune de ce qu’elles prétendent défendre.

Pour faire son Mai 68, la mode doit être comprise au pluriel.

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