Home Art de vivreLittératureQuand les seniors deviennent prescripteurs : le Prix du Livre Nohée 2025 consacre la littérature du lien

Quand les seniors deviennent prescripteurs : le Prix du Livre Nohée 2025 consacre la littérature du lien

by pascal iakovou
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Sous les verrières lumineuses des 36 résidences Nohée, un rituel désormais attendu rythme l’été : tablettes à la main, les pensionnaires votent pour élire leur trio d’auteurs favoris. Loin du Paris germanopratin, la “sélection par la base” confère au Prix du Livre Nohée une saveur démocratique : 125 bulletins ont tranché parmi six titres en lice pour retenir trois récits où la famille devient matrice d’émotion et de mémoire.

Première en tête, Sandrine Collette offre avec Madeleine avant l’aube un roman tellurique ; la « langue dense et vibrante » — selon les résidents de Montpellier — sculpte un hameau de misère que la petite Madeleine vient fissurer. L’autrice du Renaudot des Lycéens 2022 confirme sa faculté à mêler souffle naturaliste et tension morale .

Face à cette noirceur magnétique, Miguel Bonnefoy déploie Le rêve du jaguar, fresque baroque traversée par trois générations vénézuéliennes : pétrole, exil, renaissance. L’Académie française et le Femina l’ont déjà couronné ; les seniors saluent « le souffle romanesque et l’humanité des personnages ».

Troisième voix, celle de Minh Tran Huy : Ma grand-mère et le pays de la poésie retisse le lien brisé entre une petite-fille francophone et sa Bà vietnamienne. Les lecteurs, eux-mêmes héritiers de silences, y lisent un miroir sensible de l’incommunication intergénérationnelle.

Au-delà de la sélection, le dispositif intrigue le microcosme littéraire : vote numérique sur application, puis jury de personnalités présidé par Brigitte Fossey — l’enfant prodige de Jeux Interdits, sacrée à cinq ans avant d’embrasser une carrière de soixante ans › un symbole vivant de transmission artistique. La délibération filmée sera retransmise le 21 octobre à 18 h sur YouTube et dans chaque résidence, transformant salons de lecture en mini-Bourse Goncourt.

Depuis 2020, le palmarès a déjà distingué Anne Icart, Mathias Malzieu ou, l’an passé, François Garde : autant de passerelles entre générations qui prouvent que l’âge n’atténue ni la curiosité ni l’exigence littéraire.

Plus qu’un simple prix, Nohée revendique ainsi un programme de bien-vieillir par la lecture : ateliers d’écriture, clubs de critiques et correspondances croisées avec des lycéens. En rappelant que la littérature demeure un espace partagé, le Prix Nohée confère aux seniors le rôle de gardiens – et passeurs – d’histoires ; un remède doux à l’isolement, et peut-être la définition la plus concrète de la « transmission ».

Le 21 octobre, quand retentira le verdict, c’est toute une communauté qui, de Montpellier à Lille, acclamera son lauréat. Dans un paysage saturé de distinctions, le Prix Nohée rappelle qu’un livre n’existe vraiment que lorsqu’il circule de main en main, de mémoire en mémoire : un pacte de lecture aussi vivant qu’essentiel.

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