Face au Grand Théâtre Lumière, Eugenia Kuzmina n’entre pas : elle effleure la scène, portée par une robe sirène comme en apesanteur. Conçue sur-mesure par Celestina Agostino, la pièce fusionne la transparence aérienne de la mousseline ivoire avec la densité précieuse de la dentelle chantilly rebrodée de perles de verre. Le tout assemblé à la main dans les ateliers du 9ᵉ arrondissement, temple discret de la haute couture introspective.
L’actrice russo-américaine, présente pour la projection de Bono: Stories of Surrender d’Andrew Dominik, choisit ici un vêtement qui épouse la tonalité du film : la confession. Le corsage drapé en plumetis, les fines bretelles croisées et la jupe à godets fluide composent une silhouette d’une délicatesse contenue, où chaque mouvement révèle une strate d’émotion textile. Avec ses 180 heures de broderie et d’assemblage, la robe agit comme un contrepoint tactile au récit personnel de Bono, entre enfance dublinoise et gloire mondiale.
Celestina Agostino, connue pour ses robes de mariée d’exception, dépasse ici le registre nuptial pour sublimer un langage de couture nue : une grammaire de la suggestion, où chaque panneau de soie devient calligraphie textile. En l’absence de bijoux, seule une bague Art Déco ponctue la tenue, comme pour mieux laisser le tissu devenir le seul éclat.
Dans un contexte où le blanc revendique une réhabilitation stylistique sur les tapis rouges — du bridal au statement — Agostino s’impose comme figure centrale du « slow glamour ». Sa robe prouve qu’un vêtement 100 % soie, taillé à la main à Paris, peut rivaliser de puissance visuelle tout en cultivant un art de l’effacement.
Le choix d’Eugenia Kuzmina s’avère doublement stratégique : il reflète une recherche d’authenticité, en écho à la sincérité du documentaire ovationné sept minutes, et positionne la couture éthique comme levier narratif d’une émotion redessinée. Une preuve de plus que, sur la Croisette, la vérité peut se jouer à la surface d’un ourlet.






