Dans l’univers feutré de l’horlogerie suisse, certaines alliances surprennent davantage que d’autres. La manufacture jurassienne Louis Erard vient d’annoncer un partenariat inattendu avec Tezuka Productions pour une édition limitée célébrant Astro Boy, le célèbre androïde né en 1952 sous le trait d’Osamu Tezuka, père fondateur du manga moderne. Cette collaboration marque un tournant stratégique pour la collection 2340, qui s’émancipe des codes conventionnels pour investir un territoire culturel rarement exploré par l’industrie horlogère traditionnelle.
Une construction multicouche au service d’une icône générationnelle
L’exercice technique mérite l’attention. Le cadran de cette édition spéciale ne se contente pas d’un simple transfert sérigraphique : Astro Boy est appliqué en volume, avec une construction à trois niveaux superposés. La base du cadran présente une gravure verticale satinée évoquant Metro City, la mégalopole futuriste de l’univers narratif d’Astro Boy. Sur cette toile urbaine, le personnage principal surgit en couleur, accompagné d’un panache de fumée suggérant le mouvement ascendant. Un vilain iconique de la série se dessine en arrière-plan, traité en noir mat pour renforcer le contraste dramatique. Le rehaut circulaire surélevé, imprimé d’une minuterie blanche et rehaussé de Super-LumiNova SLN-C1 à émission bleue, encadre cette scène cinématographique.
Cette architecture complexe traduit une volonté manifeste : transcender l’horlogerie utilitaire pour transformer le cadran en support narratif. La suppression délibérée des index horaires libère l’espace visuel, permettant à l’illustration de respirer pleinement. Les aiguilles rhodiées, satinées sur leur face supérieure et diamantées sur leurs arêtes, demeurent suffisamment discrètes pour ne pas parasiter la lecture esthétique tout en garantissant une lisibilité fonctionnelle grâce à leur revêtement luminescent.
Astro Boy, bien plus qu’une nostalgie marketée
Derrière l’apparente frivolité d’une collaboration avec un personnage de manga, se dissimule une réflexion plus profonde sur les valeurs véhiculées par cette icône septuagénaire. Astro Boy n’est pas qu’un super-héros robotique : c’est un symbole d’humanité paradoxale, un androïde doté d’émotions construites pour remplacer un enfant disparu, qui finit par incarner davantage d’empathie que ses créateurs biologiques. Osamu Tezuka en avait fait le porte-étendard d’une coexistence harmonieuse entre humains et machines, une métaphore prémonitoire alors que l’intelligence artificielle s’immisce aujourd’hui dans tous les secteurs économiques.
Manuel Emch, à la tête de Louis Erard, assume cette dimension philosophique : la collection 2340 devient une plateforme d’expression culturelle, un territoire où l’horlogerie mécanique traditionnelle peut dialoguer avec des univers narratifs marquants. Cette stratégie éditoriale rompt avec la propension du secteur à se replier sur ses propres références patrimoniales.
Architecture technique de la 2340 : l’écrin de cette collaboration
Le boîtier hybride de 40 mm de diamètre pour 8,95 mm d’épaisseur conjugue titane brossé pour la carrure et acier poli pour la lunette, la couronne et les cornes. Ce contraste de matériaux et de finitions, fruit de trois années de développement selon la manufacture, vise à alléger le poids total tout en préservant une présence visuelle affirmée au poignet. Le bracelet intégré bi-matière, également en titane brossé et acier poli, constitue une première dans l’histoire de la marque fondée en 1929.
Le mouvement Sellita SW300-1, calibre automatique éprouvé de 11½ lignes à 28 800 alternances horaires, anime cette édition avec une réserve de marche approximative de 56 heures. La masse oscillante ajourée arbore le symbole Louis Erard laqué noir, détail soigné visible à travers le fond fermé, lequel porte une gravure dédiée à Astro Boy.
Une production volontairement restreinte
Louis Erard limite cette édition à 178 exemplaires, chiffre énigmatique qui pourrait faire référence à des éléments symboliques de l’univers d’Astro Boy sans que la manufacture ne l’explicite officiellement. Cette rareté calculée s’inscrit dans une logique de collection, éloignée des volumes industriels. Le prix public de CHF 3 990.- hors taxes positionne cette référence (35123TA23.BMT12) dans un segment accessible pour une pièce limitée issue d’une collaboration licenciée.
La démarche de Louis Erard avec cette première incursion culturelle pour la collection 2340 préfigure une stratégie de diversification assumée. Manuel Emch l’annonce sans détour : d’autres collaborations suivront, puisant dans le registre des jeux vidéo, des icônes cultes et de la mémoire collective générationnelle. Une manière de démocratiser l’horlogerie mécanique en la connectant à des univers émotionnels familiers, au risque de bousculer les puristes mais avec l’ambition de toucher une clientèle plus jeune, celle qui a grandi avec ces références et dispose aujourd’hui du pouvoir d’achat pour se les offrir sous forme horlogère.














