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Champagne Collery Réinvente le Dosage : Quand Quelques Grammes Redéfinissent l’Excellence

by pascal iakovou
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Dans les caves d’Aÿ, au cœur de la Champagne viticole, la Maison Collery orchestre une révolution silencieuse. Celle du dosage, cette ultime étape souvent reléguée au rang de simple ajustement technique, que la maison familiale fondée en 1893 élève au statut d’art véritable. Lorsque Julien Lefevre, Chef de cave, affirme que « le bon dosage, c’est celui qu’on ne perçoit pas », il résume une philosophie qui transcende les modes du brut nature et du dosage zéro pour réaffirmer une vérité œnologique : l’équilibre ne se décrète pas, il se trouve, gramme après gramme, dans un exercice d’orfèvrerie où la précision dialogue avec l’intuition.

L’alchimie invisible des derniers grammes

Le dosage en champagne clôt un processus qui peut s’étendre sur plusieurs années, depuis les vendanges jusqu’au dégorgement. Cette liqueur d’expédition, composée traditionnellement de vin et de sucre, a longtemps été perçue comme une correction destinée à adoucir l’acidité naturelle du champagne. Pourtant, dans l’ombre des caves champenoises, certains créateurs redonnent à cette phase toute sa noblesse. Chez Collery, le dosage n’est pas une correction mais une finalisation, une élévation comparable aux fûts de finish dans l’univers des grands whiskys. La Maison d’Aÿ a développé une méthodologie exigeante qui repose sur une sélection rigoureuse de vins destinés à l’élaboration des liqueurs, choisis pour leur richesse aromatique et leur grande tension. Le moût concentré rectifié, sucre naturel issu du raisin parfaitement neutre et constant, garantit l’harmonie avec les vins sans les dénaturer.

Le laboratoire du goût : neuf variations pour une évidence

La singularité de l’approche Collery réside dans son protocole de dégustation, méticuleux jusqu’à l’obsession. Lorsque les cuvées sont prêtes à être dégorgées, elles sont d’abord dégustées « nature », sans aucun ajout, pour comprendre leur équilibre intrinsèque et déceler ce qu’il conviendrait de renforcer, d’arrondir, de révéler. Ensuite, plusieurs liqueurs sont testées par un comité interne. Pour chaque vin, on élabore jusqu’à neuf dosages différents, de un à neuf grammes par litre. « Une seule variation d’un gramme peut changer tout le vin. Nous ne faisons aucun compromis sur cette recherche », insiste le Chef de cave. Ces dosages sont dégustés dans un ordre aléatoire, sans repères de sucre, chaque dégustateur établissant son propre classement avant que les avis soient confrontés. Dans la grande majorité des cas, un consensus se dessine naturellement. « Le bon dosage se détache toujours », observe Romain Levecque, directeur commercial. « Il ne cherche pas à séduire, mais il s’impose par son évidence. »

Les barriques « assagies » : une patine bourguignonne et américaine

Le choix des contenants constitue une autre dimension essentielle du processus Collery. Les barriques utilisées, issues de Bourgogne, de Sauternes ou même de chêne américain, ont connu plusieurs vins avant d’être intégrées au chai. Ce choix n’est nullement anodin : il permet d’obtenir des contenants « assagis », où l’impact boisé est maîtrisé et où la liqueur peut se charger d’une patine subtile sans dominer le vin de base. Cette philosophie s’inscrit dans une tradition champenoise où l’élevage sous bois, longtemps abandonné au profit de l’inox, retrouve ses lettres de noblesse auprès des vignerons indépendants et des maisons de caractère. L’utilisation de fûts bourguignons pour le Blanc de Noirs et de chêne américain pour l’EmpyreumatiC traduit une volonté d’adapter le contenant au cépage et au style recherché, dans une logique artisanale qui privilégie la singularité sur la standardisation.

Blanc de Noirs Grand Cru : l’élégance incarnée du Pinot Noir

À l’approche des fêtes de fin d’année, la Maison Collery dévoile deux cuvées emblématiques de sa philosophie. Le Blanc de Noirs Grand Cru, cent pour cent Pinot Noir vinifié en cuves inox et, pour près d’un tiers de l’assemblage, en foudres et en fûts, reçoit un dosage à cinq grammes par litre réalisé avec une liqueur élaborée à partir de Pinot Noir élevé en fût bourguignon de trois vins minimums. Au nez, un bouquet élégant mêle fleurs blanches, kumquat, mangue confite, amande et noisette grillées. La bouche, ample et saline, révèle des notes de poire et d’agrumes zestés. Structuré et équilibré, ce champagne s’invite à table pour les grandes occasions en se mariant à une volaille blanche, voire un canard ou un faisan, des fromages affinés persillés. Proposé à quarante-huit euros, il incarne cette signature Collery où la pureté du fruit dialogue avec la complexité de l’élevage.

EmpyreumatiC 2015 : la puissance solaire du millésime

L’EmpyreumatiC Brut Grand Cru 2015 représente la grande cuvée de la Maison, un champagne solaire et intense où la puissance du Pinot Noir s’allie à la fraîcheur d’un Chardonnay généreux. Soutenue par un élevage en majorité en cuves inox et complété par un élevage en fûts de chêne américain, cette cuvée reçoit un dosage à six grammes par litre confectionné à partir de vins issus d’un élevage de fûts de chêne américain. Le millésime 2015 s’illumine d’une robe dorée aux reflets vermeils. Le nez, gourmand et complexe, mêle frangipane, pâte d’amande et fruits secs, rehaussés d’un boisé élégant aux accents de whisky. En bouche, l’orange sanguine et le citron mûr s’épanouissent dans une finale zestée et persistante, soutenue par un délicat grain de tanin. Sa richesse aromatique, ses notes de frangipane et de fruits secs, ainsi que son boisé subtil, en font un champagne idéal pour accompagner du foie gras poêlé, une volaille rôtie ou un pigeon aux épices douces, ou des fromages affinés à pâte dure. Proposé à quatre-vingt-six euros, il témoigne de cette ambition Collery de dessiner des vins de grande gastronomie.

Une démarche à contre-courant de l’uniformisation

Dans un contexte où les champagnes extra-brut et brut nature conquièrent les tables des connaisseurs, la Maison Collery assume une position singulière : celle de défendre le dosage comme révélateur d’équilibre, de profondeur et de style. Cette démarche s’inscrit à contre-courant de l’uniformisation qui guette le vignoble champenois, où les grandes maisons industrielles privilégient souvent la régularité sur la singularité. Chez Collery, chaque cuvée reçoit son propre dosage, pensé en cohérence avec son expression, sa texture, son énergie. On ne cherche pas à atteindre un niveau de sucre prédéfini, dicté par la tendance ou le marketing, mais la justesse, ce point d’équilibre qui sublime sans s’imposer, qui amplifie sans dénaturer. Cette philosophie rejoint celle des grands domaines bourguignons ou des châteaux bordelais, où chaque millésime impose ses propres règles d’élevage et d’assemblage.

Le travail de la Maison Collery sur le dosage illustre cette capacité des maisons familiales à préserver un savoir-faire artisanal face à la rationalisation industrielle. Depuis 1893, la famille perpétue une tradition qui fait du champagne non pas un produit standardisé mais une expression unique du terroir d’Aÿ, village classé Grand Cru au cœur de la Montagne de Reims. En cette fin d’année 2025, les deux cuvées proposées incarnent cette exigence où quelques grammes de sucre peuvent transformer un grand vin en chef-d’œuvre d’équilibre.

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