Sous les pins du Pincio, Rome offre à la mode un atelier d’idées. En octobre 2025, la Villa Médicis met en résonance le geste couture et l’intelligence du lieu : un laboratoire d’excellence à la française transplanté dans la Ville éternelle, où le dessin d’un vêtement dialogue avec la pierre, le jardin et les métiers d’art. Cette résidence s’inscrit dans l’ADN de l’Académie de France à Rome — un bastion de création fondé au XVIIe siècle, aujourd’hui centre d’art et résidence d’artistes, ouvert aux disciplines et aux croisements les plus contemporains. À la Villa, la mode n’est pas un produit, c’est une recherche : silhouettes comme hypothèses, toile comme vocabulaire, coupe comme architecture.
Le contexte est fécond. Depuis 2020, le programme « Réenchanter la Villa » a repensé salons, chambres et jardins, associant designers, artisans et maisons de prestige. En juin 2025, un nouveau chapitre a métamorphosé les extérieurs : verger d’agrumes par Bas Smets, pots toscans poétiques par Natsuko Uchino, chambres revisitées dans un esprit d’artisanat d’art. Cette grammaire du geste — respect des matières, temps long, précision — épouse naturellement les exigences d’un atelier de mode. Le vêtement, comme le jardin ou la pièce de mobilier, y devient œuvre de culture, nourrie de savoir-faire et de sens.
Au cœur d’Octobre à la Villa, la résidence mode revendique une approche d’auteur. Elle ambitionne d’explorer la coupe comme topographie, le patron comme partition, la broderie comme écriture — autant d’entrées qui font du studio un espace de recherche plus que de simple exécution. On attend des capsules restreintes, des expérimentations textiles, des formes éco-conscientes, peut-être des dialogues avec les ateliers romains et les artisans d’art italiens. Les journées portes ouvertes pourraient révéler mood boards, toiles d’étude, prototypes en cours, tandis que des conversations publiques ancreraient la démarche dans le débat contemporain : circularité, responsabilité des matériaux, alliances entre couture, design et arts visuels.
Résidence de Stéphane Ashpool, automne 2025
Stéphane Ashpool (Paris, 1982) grandit entre basketball, danse et sculpture, héritant le goût du mouvement et des matières. Fondateur du collectif Pain O Chokolat puis de la boutique Pigalle, il esquisse une mode singulière, engagée et colorée, inscrite dès 2010 au calendrier officiel des défilés. Lauréat du Grand Prix de l’ANDAM en 2015, il collabore avec Chanel Métier d’Art ou Missoni, créant des projets où sport, art et urbanisme se rencontrent, comme le terrain de basket Nike Pigalle. Il habille l’équipe de France pour les JO 2024 et prépare ceux de Milan-Cortina 2026. Son univers est en perpétuel mouvement.
Son projet de résidence à la Villa Médicis s’intitule Prêt à teindre et vise à créer une approche innovante de la couleur, appliquée au textile et aux surfaces, tout en interrogeant ses dimensions symboliques, techniques et environnementales. La recherche se déploie en deux axes : une documentation sur l’histoire, les techniques et usages de la couleur, nourrie par des échanges avec artisans et experts ; et le développement d’un système de mise en couleur novateur, pensé pour vêtements et autres supports. Dans une industrie textile fortement polluante, l’ambition est de concevoir des méthodes raisonnées. À l’issue de la résidence, l’objectif est de présenter ce travail à l’été 2026 après les Jeux Olympiques de Milan – Cortina.
Résidence de Prune Delon, printemps 2024
Prune Delon (Strasbourg 2001) est diplômée en 2023 du Bachelor of Arts in Fashion Design de l’Institut Français de la Mode, à l’issu duquel elle présente sa collection lors de la Fashion Week de Paris. Après six mois au sein du pôle broderie de la maison Schiaparelli, elle collabore notamment avec le designer Charles de Vilmorin sur ses fourrures de mohair qu’elle développe à la main. Un séjour de 6 mois dans le nord de l’Inde nourrit ses recherches sur les teintures naturelles et les savoir-faire artisanaux. Installée à Paris, elle développe une pratique pluridisciplinaire entre textile et peinture.
Son travail explore le lien entre nature, mémoire et corps, à travers des figures animales, des motifs végétaux porteurs de symboles.. À l’écoute du Genius Loci, chaque lieu façonne sa pratique : lumière, matière, gestes rituels en deviennent les témoins, révélant une relation vivante entre l’humain et le sacré. À Rome, elle poursuivra cette recherche en abordant le vêtement comme point de départ d’une création poétique autour du volume, du corps et de la présence — des structures textiles habitées, suspendues, dialoguant avec l’espace et la mémoire.« C’est dans le faire qu’on trouve », en écho à la poïesis d’Aristote : l’acte même de créer devient révélation.
Le cadre, lui, est un manifeste. À quelques pas de la Trinité-des-Monts, la Villa orchestre expositions, concerts, festivals et résidences ; elle accueille chaque année pensionnaires et résidents de multiples nationalités et disciplines. La mode, discipline totale, y trouve une scène idéale pour se confronter à l’histoire, au paysage, aux collections, tout en cultivant un rapport vivant à l’artisanat et à la nature. Cette résidence s’insère dans une programmation qui privilégie l’expérimentation et la transversalité — un luxe au sens noble : celui du temps, de la main, du sens.
Enfin, situer cette initiative à Rome, c’est accepter la friction stimulante entre héritage et innovation. Les agrumes du nouveau jardin deviennent métaphore : chaque citrin est une source, chaque feuille une variation. À l’instar de la cuisine en résidence, intégrée à l’écosystème créatif de la Villa, la mode pourrait nourrir et être nourrie par le lieu — échanges, rituels, dîners performatifs, soirées-atelier — jusqu’à orchestrer une restitution sensible où les pièces portent la patine du site et la précision des métiers. La Villa n’habille pas la mode, elle l’augmente.
Informations pratiques et liens utiles : Académie de France à Rome – Villa Médicis, Viale della Trinità dei Monti, 1, 00187 Roma. Programme et résidences : villamedici.it.