Dès le vestibule de l’Institut du monde arabe, un trio d’uraei enserre le regard : la scénographe Clémence Farrell orchestre une entrée théâtrale où le portrait granitique de la reine dialogue avec un mur d’écrans projetant le flux ininterrompu de sa légende, des monnaies ptolémaïques aux bobines de Mankiewicz. L’exposition-évènement « Le Mystère Cléopâtre », présentée du 11 juin 2025 au 11 janvier 2026, bouscule d’emblée le visiteur : ici, la dernière souveraine d’Égypte n’est plus l’« étrangère abominable » des pamphlets augustéens, mais l’architecte éclairée d’un royaume multiculturel et la première cheffe d’État à manier communication visuelle et soft-power bien avant l’heure .
Sous la houlette du commissaire général Claude Mollard et des égyptologues Christiane Ziegler et Christian-Georges Schwentzel, le parcours tient de la fresque kaléidoscopique : huit sections permettent de passer de l’histoire rigoureusement sourcée – Cléopâtre réformant la monnaie, négociant avec César puis Marc Antoine, modernisant sa flotte – à la construction d’un mythe multiforme traversant quatorze siècles, de Jean de Nikiou à Shakespeare. Les lacunes de l’archéologie (tombeau toujours introuvable, papyri rarissimes) sont assumées ; elles deviennent l’espace même où l’imaginaire collectif s’engouffre, entre l’« icône féministe » exaltée par Barbara Chase-Riboud et Nazanin Pouyandeh et la « tentatrice orientale » fantasmée par l’Orientalisme du XIXᵉ siècle .
Le dialogue entre artefact et média contemporain est l’autre force du projet. Ubisoft signe un court-métrage dérivé de Assassin’s Creed Origins et Discovery Tour : Ancient Egypt ; le visiteur, équipé d’un casque audio directionnel, traverse l’Alexandrie de 50 av. J.-C. et gravit virtuellement le Phare, renouant avec l’émerveillement du Grand Tour, sans jamais quitter le 5ᵉ arrondissement . Cette incursion vidéoludique, loin du gadget, rappelle combien la reine demeure un sujet de fascination populaire, matière première d’Hollywood comme de l’industrie du jeu.
À mi-parcours, la séquence « La monnaie ne ment pas » expose un statère frappé au profil de Césarion : or patiné, nez droit, légende grecque ciselée. L’objet, minuscule, décrit mieux que tout essai la stratégie dynastique d’une femme décidée à faire reconnaître son fils et à contester l’ordre patriarcal romain. En contrepoint, un écran diffuse les vers de Virgile et d’Horace, où Cléopâtre devient « monstre fatal » : la propagande comme arme de destruction politique, déjà .
La dernière salle bascule résolument au XXIᵉ siècle. Cinq artistes femmes, toutes issues de régions jadis contrôlées par Rome, déconstruisent l’iconographie coloniale : Barbara Chase-Riboud érige un trône vide coulé dans le bronze, métaphore de la vacance du pouvoir féminin et de sa persistance symbolique . Le geste rejoint le propos féministe de l’exposition : Cléopâtre, loin de n’être qu’objet de désir masculin, devient actrice-sujet de sa propre histoire.
Autour de ce cœur scientifique, l’IMA déploie ses antennes : ateliers hiéroglyphes pour enfants, médiations parfumées soutenues par Givaudan, pop-up store d’artisanat égyptien et cycle de tables rondes modéré par Schwentzel, gratuits dans la limite des places . On signalera aux fashionistas que la librairie institutionnelle a invité des créateurs parisiens à revisiter le cartouche royal en jewellery minimaliste.
Adresse indispensable : Institut du monde arabe, 1 rue des Fossés-Saint-Bernard, Place Mohammed V, 75005 Paris (Métro Jussieu ou Cardinal-Lemoine). Billet plein tarif : 15 € – nocturnes le mercredi jusqu’à 21 h 30 .
L’exposition achève ainsi de conjuguer érudition, expérience sensorielle et engagement sociétal : à l’heure où les figures féminines héritées de l’Antiquité suscitent relectures et controverses, « Le Mystère Cléopâtre » livre une partition brillante, capable de séduire l’historien, la militante et l’amateur de pop culture d’un même coup de sceptre.





