Home Food and WineAu Pied de Cochon célèbre la saison du gibier avec un civet de sanglier en tourte

Au Pied de Cochon célèbre la saison du gibier avec un civet de sanglier en tourte

by pascal iakovou
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L’automne ranime les traditions culinaires françaises : dès que les premières feuilles rougissent, les tables parisiennes honorent le gibier. Au Pied de Cochon, institution des Halles depuis 1947, délaisse temporairement son emblématique cochon pour accueillir son cousin sauvage, le sanglier. Un geste symbolique qui inscrit cette brasserie historique dans la grande lignée des maisons qui célèbrent les saisons de chasse avec la rigueur qu’exige la haute gastronomie française.

Une tourte qui revisite le civet traditionnel

Le civet de sanglier lutté s’impose comme la pièce maîtresse de cette saison automnale. Loin des présentations conventionnelles, la maison propose une interprétation théâtrale du plat : la viande mijotée se niche sous une croûte de pâte feuilletée dorée à point, créant une tourte ultra-généreuse qui réinvente avec audace la tradition. Cette présentation en cocotte lutée — technique ancestrale consistant à sceller hermétiquement le récipient avec de la pâte pour préserver tous les arômes durant la cuisson — témoigne d’un savoir-faire que l’on croyait disparu des brasseries parisiennes.

Le sanglier, chassé traditionnellement entre décembre et mars, offre une chair dense et riche en protéines, moins grasse que le porc domestique. Sa saveur robuste, typique du gibier sauvage, s’explique par son alimentation forestière variée : glands de chêne, racines, baies et graminées. Au sein de cette tourte, la viande braisée longuement développe une tendreté remarquable, contrastant avec le croustillant de la pâte feuilletée.

La sauce Grand Veneur, héritage de la vénerie royale

C’est la sauce Grand Veneur qui confère à ce plat sa noblesse. Cette préparation classique de la haute cuisine française puise ses origines dans l’art de la vénerie du XVIIIe siècle, lorsque les cuisiniers des grandes maisons nobles cherchaient à sublimer le gibier fraîchement chassé. Le terme « Grand Veneur » désignait l’officier de la cour chargé d’organiser les chasses royales, fonction prestigieuse incarnant la tradition cynégétique française.

Cette sauce se distingue par son équilibre sophistiqué : la richesse du fond de gibier, réduit patiemment, s’harmonise avec l’acidité fruitée de la gelée de groseille, tandis que le vin rouge apporte profondeur et structure. Contrairement à la sauce chasseur qui incorpore des tomates, ou à la sauce poivrade dépourvue de fruits rouges, la Grand Veneur se caractérise par cette touche sucrée-acidulée qui adoucit le caractère prononcé du sanglier sans en masquer la personnalité.

L’esprit des Halles depuis 1947

Fondé par Clément Blanc, mandataire de boucherie aux Halles centrales, Au Pied de Cochon demeure l’une des dernières mémoires vivantes du « Ventre de Paris » cher à Émile Zola. La brasserie occupe depuis près de huit décennies le 6 rue Coquillière, dans le 1er arrondissement, à quelques pas de la Bourse de Commerce et de l’église Saint-Eustache. Première à proposer un service continu 24h/24 dès son ouverture, elle a accueilli une clientèle éclectique : des forts des Halles aux artistes noctambules, de Charles Aznavour à François Mitterrand qui y fêta sa victoire électorale en 1981.

L’établissement cultive depuis son origine cette gouaille parisienne, cette cuisine canaille où le produit prime sur l’artifice. Le décor Belle Époque, rehaussé de lustres en verre de Murano et de fresques réalisées en 1990 par des étudiants des Beaux-Arts — chacune dissimulant un petit cochon — crée une atmosphère à la fois festive et authentique.

Un accord bourguignon pour le gibier

Pour accompagner ce civet en tourte, la maison suggère deux crus bourguignons qui répondent à la puissance du plat. Le Nuits-Saint-Georges « Les Montroziers » 2023 du Domaine Faiveley, institution nuitonne fondée en 1825, déploie une palette aromatique de notes épicées, fruitées et boisées. Cette cuvée, élevée quatorze mois en fûts de chêne français dont 20% neufs, rend hommage à Maurice Colrat de Montrozier, témoin du mariage de Guy et Yvonne Faiveley en 1945, union symbolisant la rencontre du monde viticole et de l’industrie ferroviaire. Assemblage de parcelles réparties du nord au sud de l’appellation, ce vin offre la rondeur et les tanins veloutés nécessaires pour dialoguer avec la sauce Grand Veneur sans l’écraser.

L’alternative proposée, un Bourgogne Hautes-Côtes de Beaune Billard Père et Fils, constitue un choix plus accessible tout en conservant l’élégance du pinot noir bourguignon, cépage roi pour le gibier.

Tradition et convivialité

Au prix de 26,50 euros, cette tourte de sanglier braisé s’inscrit dans la tradition des plats réconfortants d’automne et d’hiver, ces préparations mijotées qui réchauffent autant le corps que l’âme. Le civet de sanglier, dont le nom dérive du mot « cive » (oignon en ancien français), appartient à ce répertoire de recettes ancestrales où le temps de cuisson prolongé transforme une viande rustique en mets délicat.

Dans un contexte où les tendances culinaires valorisent de plus en plus les circuits courts et les produits durables, le gibier sauvage incarne une forme de consommation responsable. La viande de sanglier, pauvre en lipides et riche en acides gras polyinsaturés, représente également un choix nutritionnel pertinent pour une clientèle soucieuse de qualité.

Au Pied de Cochon perpétue ainsi une double tradition : celle d’une brasserie parisienne qui ne dort jamais et celle d’une gastronomie française qui sait honorer les saisons et leurs produits. La tourte de sanglier en sauce Grand Veneur y cristallise l’essence même du luxe accessible : une générosité sans ostentation, une technicité mise au service du goût plutôt que de l’esbroufe.

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