Home ModeFashion WeekMort de Giorgio Armani : adieu au maestro du luxe discret

Mort de Giorgio Armani : adieu au maestro du luxe discret

by pascal iakovou
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Le monde de la mode pleure l’un de ses titans. Le légendaire couturier italien Giorgio Armani est décédé jeudi 4 septembre 2025 à l’âge de 91 ans, entouré de ses proches, comme l’a annoncé ce jour-là son groupe dans un communiqué officiel. Figure emblématique du luxe italien, surnommé Re Giorgio, il s’éteint après un demi-siècle à la tête de sa maison éponyme, laissant derrière lui un empire de l’élégance et un style inimitable. La nouvelle de sa disparition, confirmée sur son compte Instagram par les mots « C’est avec une immense tristesse que le groupe Armani annonce le décès de son créateur, fondateur et infatigable moteur », a provoqué une onde de choc dans la fashion sphère et au-delà. Dès l’annonce, un déluge d’hommages a afflué des quatre coins du globe, saluant l’héritage d’un créateur hors norme.

« Le monde a perdu un géant aujourd’hui. Il a fait l’histoire et on s’en souviendra pour toujours », a écrit sur Instagram Donatella Versace, directrice artistique de la maison Versace, résumant le sentiment général. De Milan à Paris, en passant par New York, les figures de la mode ont exalté la mémoire d’Armani. La Première ministre italienne Giorgia Meloni a salué « une icône, un travailleur infatigable, un symbole du meilleur de l’Italie », rendant hommage à « son élégance, sa sobriété et sa créativité », grâce auxquelles il a « inspiré le monde entier ». Le ministre italien de la Culture, Alessandro Giuli, a souligné que « son style sobre et innovant a redéfini la relation entre la mode, le cinéma et la société, laissant une empreinte indélébile dans les mœurs contemporaines ». Du côté des grands noms du luxe français, Bernard Arnault (PDG de LVMH) s’est déclaré « profondément attristé » par la perte d’un couturier qui a su « donner à l’élégance italienne une envergure mondiale » et « créer un style unique, fait d’ombre et de lumière », transformé en un succès entrepreneurial retentissant François-Henri Pinault, président de Kering, a salué « un maître incontesté de la couture italienne, dont l’influence dépasse largement la mode et continuera d’inspirer des générations entières ». Quant à Miuccia Prada, figure de la mode italienne concurrente et admiratrice, elle a rendu hommage avec son époux Patrizio Bertelli à « un maestro reconnu pour son élégance et sa créativité, protagoniste incontesté de la mode italienne et internationale, dont l’apport durable restera à jamais dans l’histoire ».

Les hommages ont également afflué du monde du cinéma et de la culture, témoignant de la portée transversale d’Armani. Le grand réalisateur Martin Scorsese a salué en lui « bien plus qu’un créateur de vêtements, un véritable artiste », estimant que ses créations étaient d’une élégance intemporelle et « faites pour être portées, pas seulement admirées sur un podium ». L’actrice américaine Julia Roberts, amie fidèle et muse du couturier, s’est dite le cœur brisé en postant une photo d’eux deux, légendée « A true friend. A legend » (« un vrai ami. Une légende »). La comédienne italienne Claudia Cardinale, proche de longue date, a déclaré être « submergée par une immense douleur », décrivant Armani comme « le seul styliste à [ses] yeux » et un professionnel infatigable qui a mis « dans chacun de ses gestes, dans chacun de ses plis, une vision qui ne s’éteindra pas avec lui ». De son côté, la journaliste mode Sophie Fontanel a résumé : « C’était quelqu’un de capital dans la mode… Il a changé entièrement la manière dont les hommes s’habillent aujourd’hui » soulignant l’impact révolutionnaire d’Armani sur le vestiaire contemporain. Ce concert de louanges, émanant de stylistes, de PDG, d’hommes d’État ou d’icônes hollywoodiennes, esquisse le portrait d’un créateur dont l’influence a dépassé le cadre de la mode pour s’inscrire dans la culture populaire.

Au-delà de l’émotion du moment, l’heure est à l’hommage critique d’un parcours hors pair. Pendant plus d’un demi-siècle, Giorgio Armani a façonné une esthétique et une entreprise à son image, au point que son nom est devenu synonyme d’élégance sobre dans le monde entier. Né en 1934 à Plaisance en Émilie-Romagne, Armani a fondé sa maison en 1975 aux côtés de son partenaire de toujours, Sergio Galeotti. Ensemble, ils ont inauguré une vision nouvelle de la mode, défiant les codes figés de l’époque. Dès ses premières collections dans les années 1970, Armani ose un parti pris audacieux : l’art de déstructurer le costume. À une époque où la mode masculine était dominée par des vestes rigides, très structurées et rembourrées, il affranchit l’homme de ce carcan en proposant des vestes « plus légères, aux épaulettes adoucies, privilégiant fluidité et confort sans sacrifier le standing », comme le rappelle une rétrospective de sa carrière. Fini l’armure rigide : grâce à lui, la veste suit le mouvement du corps, les étoffes s’assouplissent et la silhouette gagne en naturel. Ce costume “déconstruit”, aux épaules souples et à la coupe épurée, allait révolutionner la mode masculine et devenir la signature du style Armani. « Sa vision a façonné non seulement la mode, mais aussi la compréhension même du style », souligne le créateur américain Tommy Hilfiger, admiratif, en évoquant comment Armani a montré qu’une marque de vêtements pouvait définir un véritable art de vivre, des hôtels aux restaurants. Surnommée quiet revolution, cette révolution silencieuse opérée par Armani a prouvé que le pouvoir n’avait pas besoin de crier dans la mode – une idée résumée par son approche du « luxe discret », fait de sophistication feutrée plutôt que d’ostentation.

Si Coco Chanel a libéré la femme avec la petite robe noire et Christian Dior l’a enchantée avec le New Look, Giorgio Armani a, lui, redéfini la puissance et la sensualité par le costume assoupli. Son impact s’est exercé autant sur la garde-robe masculine que féminine. Dès la fin des années 70, ses tailleurs pour femmes – vestes masculines adaptées à la silhouette féminine – offrent une alternative moderne aux tenues strictes, incarnant la femme d’affaires affirmée des années 80. Parallèlement, les hommes adoptent en masse ses complets souples, reflétant une nouvelle attitude plus décontractée sans renoncer à l’élégance. « Son élégance, sa vision et son approche du style ont vraiment changé la façon dont les femmes et les hommes… s’habillent et vivent chaque jour », a témoigné à ce propos le styliste Michael Kors. En donnant aux deux sexes un langage vestimentaire commun – celui de la confiance tranquille et du confort raffiné – Armani a accompagné l’évolution des mœurs de la fin du XXᵉ siècle. On considère qu’il a largement contribué à effacer la frontière entre le formel et le casual, popularisant l’idée qu’une veste bien coupée peut se porter avec un simple t-shirt ou des chaussures décontractées. Cet héritage est partout visible aujourd’hui : la plupart des vestes modernes, des blazers non doublés aux costumes casual chic, portent l’empreinte de son travail pionnier. « Ses vestes souples, ses lignes épurées et son approche quasi architecturale du vêtement ont permis de repenser la silhouette masculine du XXᵉ siècle pour mieux la projeter dans le XXIᵉ », résume éloquemment une analyse rétrospective de son œuvre. Son style minimaliste, conjugué à une rigueur toute italienne dans la coupe et les finitions, est devenu la marque de fabrique de la maisonet a inspiré des créateurs aux quatre coins du monde. Des grands couturiers japonais comme Yohji Yamamoto et Rei Kawakubo, aux marques américaines de sportswear, tous ont été influencés par la fluidité et la simplicité prônées par Armani. En Italie, des maisons comme Zegna ou Prada ont absorbé son ADN de décontraction maîtrisée. L’héritage d’Armani est donc autant stylistique que philosophique : il a imposé l’idée qu’élégance rime avec aisance, ouvrant la voie au triomphe actuel du soft tailoring et du quiet luxury.

Designer Giorgio Armani (Photo by Barbara White Sloan/WWD/Penske Media via Getty Images)

Visionnaire infatigable, Giorgio Armani a aussi compris très tôt l’importance de faire rayonner son esthétique au-delà des podiums. Il a été l’un des premiers à faire le pont entre la mode et le cinéma, contribuant à forger l’imaginaire collectif de l’élégance sur grand écran. En 1980, la garde-robe qu’il crée pour Richard Gere dans American Gigolo – en particulier la scène mémorable où Gere passe en revue une rangée de complets Armani impeccablement coupés – marque les esprits et propulse la notoriété du styliste à Hollywood. Par la suite, son influence se glisse dans de nombreux films cultes : on retrouve ses costumes à la fois sobres et puissants dans Les Incorruptibles de Brian De Palma (1987) ou sur les épaules de stars arpentant les tapis rouges des Oscars. La série télévisée Miami Vice popularise également son style dès 1984, ses héros adoptant le tee-shirt sous la veste Armani, sans cravate, devenant l’emblème du chic décontracté des années 80. Armani a littéralement habillé Hollywood, au point que la presse internationale le reconnaît comme le prince de la mode italienne conquérant l’usine à rêves. El País l’a qualifié d’« esthète incorruptible et travailleur infatigable », rappelant qu’il fut « le premier créateur italien à conquérir l’industrie hollywoodienne contemporaine, à habiller ses stars et à laisser des images mémorables ». De fait, dès les années 90, il est incontournable sur les red carpets : de Jodie Foster à Cate Blanchett, d’Angelina Jolie à Sophia Loren, innombrables sont les actrices de premier plan qui choisissent ses robes sophistiquées pour leurs apparitions, recherchant cette touche d’épure et de classe que lui seul savait apporter. L’actrice Cate Blanchett a d’ailleurs souligné qu’au-delà de la mode, l’homme Giorgio Armani laissait « un vide impossible à combler… dans le cœur de millions de personnes dont il a influencé la vie ». Cette remarque fait écho à l’impact d’Armani sur la culture populaire : son nom, ses boutiques aux quatre coins du monde et ses multiples lignes (du prêt-à-porter Emporio Armani à la ligne plus jeune Armani Exchange, sans oublier Armani Casa pour la décoration ou Armani Hôtel) ont diffusé un art de vivre et une certaine idée du chic contemporain auprès du grand public. En Italie, Armani était bien plus qu’un styliste à succès : une véritable institution nationale, au point que Milan – ville où il a fondé sa maison – a décrété une journée de deuil municipal en son honneur, et que le président de la République Sergio Mattarella a tenu à exprimer officiellement ses condoléances. Ambassadeur du Made in Italy, proche de personnalités politiques et culturelles, Armani a su naviguer entre les milieux, toujours avec cette aura de discrétion et de dignité qui forçait le respect.

Jusqu’au bout, Giorgio Armani est resté fidèle à sa devise : « Je reste, je reste », avait-il l’habitude de dire en évoquant sa longévité et son indépendance farouche. À 91 ans, il travaillait encore sans relâche, préparant le prochain défilé de sa maison prévu fin septembre 2025 pour célébrer les 50 ans de sa carrière exceptionnelle. Affaibli ces derniers mois par des soucis de santé, il avait dû renoncer pour la première fois à assister à certains défilés, mais continuait à superviser ses collections et projets avec la même passion. Sa disparition marque la fin d’une ère : avec lui s’éteint l’un des derniers géants de la génération dorée des couturiers d’après-guerre, aux côtés des Yves Saint Laurent, Valentino ou Karl Lagerfeld qui ont façonné la mode moderne. Pourtant, son héritage, lui, est bien vivant. Des ateliers de Milan aux bureaux de création de New York, des podiums de la Fashion Week aux vestiaires des gens ordinaires, l’ombre bienveillante d’Armani plane toujours. « Grâce à tout ce qu’il a construit, il restera immortel », a résumé Renzo Rosso, fondateur de Diesel, saluant un géant dont l’œuvre continuera d’inspirer le monde de la mode. Armani lègue en effet bien plus qu’une marque : une vision du style, du luxe et de la vie, une vision empreinte de simplicité, d’exigence et d’intemporalité. Cet héritage, inscrit dans chaque veste souple, chaque robe fluide ou intérieur épuré qu’il a inspirés, demeure à jamais gravé dans la culture de la mode. Et comme un dernier salut au maestro, on peut affirmer sans hésiter que l’élégance selon Giorgio Armani, elle, ne mourra jamais.

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