Home ModeFashion WeekDans la gloire tutélaire d’un Klimt intérieur, Rahul Mishra sculpte l’amour en sept extases

Dans la gloire tutélaire d’un Klimt intérieur, Rahul Mishra sculpte l’amour en sept extases

by pascal iakovou
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« Nous ne tombons pas amoureux, nous le devenons ». Sur la verrière nue du 8ᵉ arrondissement, la phrase s’inscrit comme un mantra avant même que n’apparaisse le premier rai de lumière. Chez Rahul Mishra, l’amour n’est pas sentiment : c’est une lente mue, une disparition programmée du moi dans l’autre — Sufisme oblige, sept haltes jalonnent ce dépouillement : attraction, engouement, abandon, révérence, dévotion, obsession, mort.

De la miniature moghole aux dorures de Klimt
À mesure que la bande sonore psalmodie des vers persans, les silhouettes s’irisent de l’or vibrant de Gustav Klimt, clin d’œil assumé au « Baiser » que Mishra garde sur sa table de dessins. Les robes « Heart of Gold » et « Wild Rose » — corset éclaté, leggings 2D — transposent les aplats du peintre en mosaïques de paillettes kundan et de perles d’eau douce, posées au crochet aari jusque dans les recoins les plus secrets du tulle.

Un manifeste social sous l’apparat
Derrière chaque éclat, 2 000 mains villageoises : zardozi, naqshi, dabka, fareesha, ces vocables que Mishra polit depuis douze ans pour ériger la haute couture en moteur de développement rural. Lenteur ? Oui, revendiquée : « Nos délais prolongés préservent les ressources naturelles et la dignité de ceux qui les travaillent », confie le créateur. Une ascèse écologique qui tranche avec la frénésie d’un calendrier saturé, rappelant que l’âme d’un vêtement n’est jamais indexée sur le rythme des stories.

La rhapsodie des volumes
Chapitre Attraction : bustiers corolle en satin noir, constellés de sequins nocturnes, frôlent le sol dans un ballet de pétales inversés.
Chapitre Dévotion : une armure de soie ivoire incrustée d’onyx se déploie en ailes d’ange articulées, maintenues par une architecture métallique forgée main dans l’atelier de Noida, telle une cathédrale portative.
Chapitre Mort : rideau noir absolu, silhouette gommée, seul subsiste un voile opaque de Stephen Jones qui dissout visage, genre, ego.

Stephen Jones, le souffle du vide
Le maître-modiste londonien orchestre voiles-nuages et tiares sculpturales à l’ampleur quasi baroque. Ses structures, légères comme un souhait, se fondent dans le récit jusqu’à devenir « dialogue silencieux » selon Mishra. Chaque pièce souligne la tension entre révélation et retrait : ce que la robe dévoile, le voile le ré-enfouit, poussant la collection vers une théâtralité méditative.

Scène et hors-champ
Sur le catwalk, l’actrice Lisa Haydon incarne « Vatavaran », combinaison incrustée d’une constellation de miroirs, éclat de star-power assumé qui n’éclipse pas la dimension spirituelle de l’ensemble. Mais l’instant le plus retenu advient lorsqu’une mariée noire — clin d’œil inversé aux rituels occidentaux — ferme le défilé : l’amour, sublimé, s’abolit dans l’obscurité, ultime étape où l’ego se tait.

Pourquoi c’est décisif
En s’appropriant la rhétorique des miniatures mogholes, la grammaire viennoise de Klimt et la mystique soufie, Rahul Mishra transcende l’orientalisme figé pour installer un langage véritablement global. Son usage de surfaces 3D — légères mais monumentales — répond au goût actuel pour la mise en image XXL sur réseaux, tout en conservant la minutie qui distingue la couture de l’entertainment. La présence de Stephen Jones, patriarche britannique du chapeau, consacre la maturité internationale du label indien : légitimité et hybridation, plutôt que simple exotisme.

La collection « Becoming Love » atteint ainsi une double apogée : conceptuelle — décomposer l’affect jusqu’à sa dissolution — et artisanale, puisque chaque point, chaque soudure, chaque plume vient redire que la main, loin d’être suppléante, reste l’organe-cœur de la haute couture.

Collection présentée le 7 juillet 2025 à la Bourse de Commerce, Paris. Pièces disponibles sur rendez-vous chez Rahul Mishra Couture, 7 rue de la Paix, et sur rahulmishra.in.

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