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Glacier : Yuima Nakazato érige une armure de glace et de céramique sur la scène couture

by pascal iakovou
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Une silhouette nue surgit d’un désert blanc : la photo, captée à -15 °C quelque part en Laponie finlandaise, ouvre la nouvelle odyssée de Yuima Nakazato. Tout autour, la mer figée, les cascades pétrifiées, les rivières muées en lames de verre composent un théâtre de glace où la condition humaine paraît soudain dérisoire. C’est ici que le créateur japonais a forgé « Glacier », collection haute couture AW 25-26 qui interroge l’origine même du vêtement — cette seconde peau née du besoin de survivre.

Armures fragiles, céramique sensible

Depuis plusieurs saisons, Nakazato assemble ses pièces comme des mosaïques : des milliers de plaquettes de céramique modelées, cuites puis polies une à une, qu’il relie par un laçage d’acier ou de soie. Loin de tout fantasme guerrier, ces robes-armures sont conçues pour se fendre, se craqueler, se briser : métaphore directe de la glace lapone, dure mais condamnée à fondre. Aux épaules, des masques céramiques prolongent l’idée : effigies anonymes qui protègent du regard d’autrui autant qu’ils rappellent la fragilité de l’identité à l’ère de la reconnaissance faciale et de l’IA.

Chaînes crochetées, résistance feutrée

Autre oxymore couture : la chaîne d’acier crochetée de fil mohair. Le geste, historiquement dévolu aux mains féminines et aux protestations silencieuses, enlace ici un matériau de force brute. Un châle de mailles métalliques grignotées de laine douce s’enroule autour d’un buste nu, prouvant qu’un ouvrage patient peut détourner l’outil de la contrainte en emblème de résistance.

Palette polaire

Argent lunaire, albâtre cassé, émeraude gelé : la gamme chromatique se lit comme un lever de soleil boréal. Sous la lumière rasante, les tesselles réfléchissent un spectre opalescent, accentué par de rares éclats de rubis liquide — comme des veines chaudes sous la glace.

Corps exposé, humanité révélée

Nakazato insiste : sans vêtement, l’homme meurt. Au cœur du défilé, un interlude vidéo montre le danseur Evgeny Ganeev posant nu sur le lac gelé ; trois minutes chrono avant l’hypothermie, trois minutes pour rappeler que l’évolution humaine n’est qu’un fil tendu entre vulnérabilité et ingéniosité.

Au-delà du décor

Installé depuis 2016 au calendrier officiel de la couture — seul membre japonais permanent — le créateur poursuit un triple combat : défendre une mode expérimentale, sensibiliser à la responsabilité sociale via son Fashion Frontier Program, et réorienter la couture vers le questionnement existentiel plutôt que la seule magnificence décorative.

Avec Glacier, Yuima Nakazato livre une œuvre-manifeste : un vêtement qui protège tout en avouant sa propre finitude ; une armure qui se brise pour rappeler que c’est dans les fêlures que passe la lumière — et que l’humanité, par essence, se tient toujours sur la lame fragile d’un lac en train de geler.

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