Home Art de vivreCulture « Là où je ne suis pas » par Kimiko Yoshida à la MEP

« Là où je ne suis pas » par Kimiko Yoshida à la MEP

by Marie Odile Radom
0 comment

« J’ai fui le Japon, parce que j’étais morte. Je me suis réfugiée en France, pour échapper à ce deuil. Un jour, quand j’avais trois ans, ma mère m’avait mise à la porte. J’ai quitté la maison en emportant une boîte avec tous mes trésors. Je me suis réfugiée dans un jardin public. La police m’a retrouvée là, le lendemain. Depuis, je me suis toujours sentie nomade, vagabonde, fugitive… » Kimiko Yoshida

Il y a des découvertes qui marquent et l’artiste Kimiko Yoshida est de celles-ci. La Maison Européenne de la photographie expose jusqu’au 31 Octobre 2010 une rétrospective des œuvres de l’artiste japonaise appelée judicieusement « Là où je ne suis pas« .

Kimiko Yoshida est une artiste contemporaine japonaise née à Tokyo en 1963. Elle a suivi des études de photographie au Japon puis en France où elle vit et travaille depuis 1995.

PEINTURE (WARHOL PAR LUI-MÊME). AUTOPORTRAIT, 2010 COURTESY PACO RABANNE

Aux détours des couloirs sombres du sous-sol de la MEP, ses autoportraits quasi-monochromes bouleversent par leur justesse et la maîtrise constante de la lumière. Ses fameux formats carré, qui sont sa signature, troublent par leur beauté et la puissance des couleurs. Mais au-delà d’un discours purement esthétique, ces clichés parlent d’elle et de sa sensibilité féminine, de ses rebellions, en guise d’hommage à toutes les femmes oppressées de par le monde.

THE SHINTO BRIDE. AUTOPORTRAIT, 2002

Tout d’abord, la photographe nous rafraîchit la mémoire avec des œuvres extraites de la série des « Mariées célibataires » conçue en 2000, genèse de son style au Hassenblad. Cette série trouve son point de départ dans l’enfance de l’artiste profondément marquée par le mariage arrangé de sa mère et l’humiliation subie.

Kimiko Yoshida va alors créer dans une tentative conjuratoire des dizaines d’autoportraits quasi monochromes pour mettre en scène le mariage virtuel de la « Mariée célibataire », tour à tour veuve, cosmonaute, chinoise, manga ou encore égyptienne… « Aujourd’hui, en une succession de figures sans doute conjuratoires, j’incarne une mariée paradoxale, intangible et célibataire, aux identités simultanément dramatiques, fictives, subtiles, parodiques et contradictoires ». Hommage à ces femmes à la liberté de choix niée et prises dans la servitude du mariage arrangé, l’artiste incarne une mariée désincarnée, symbolique dans toute la force de sa condition où la Femme finalement disparaît.

La Mariée Mao (garde rouge rouge), autoportrait, 2009 © Kimiko Yoshida

Cette impression d’effacement de soi est renforcée par la monochromie. Chaque détail est pensé, parfaitement intégré dans ces « tableaux » où Kimiko Yoshida se cache et se dévoile à la fois. La peau est fardée de couleur jusqu’à se fondre dans le décor pour ne faire bientôt plus qu’un avec lui. Les limites disparaissent et l’accessoire devient alors l’élément le plus important de l’œuvre.

L’être humain a disparu, devenu à son tour accessoire : « Cette recherche de la monochromie est une réflexion sur les instants successifs de l’identité, un travail sur l’effacement de moi même dans le resurgissement de l’image de moi. Le monochrome délivre un infini chromatique qui est un infini temporel. ».

PEINTURE (WARHOL PAR LUI-MÊME). AUTOPORTRAIT, 2010 COURTESY PACO RABANNE

Tout l’art de Kimiko Yoshida est dans le paradoxe de la disparition, elle nous invite à participer à un véritable rituel d’effacement de soi, à une multiplicité de réflexions liées aux identifications, à la transformation, à l’unicité et à l’universalité pour mieux dénoncer ce qui la révolte : « Cette représentation paradoxale d’une figure qui tend à disparaître, s’évanouir ou se fondre dans la monochromie vise à un impossible, une impuissance, une précarité. C’est cet effet d’incomplétude qui rejette la signification ultime de l’image dans un au-delà de l’image [… ] Mon art ne porte pas sur l’identité, mais sur l’identification. La question qui se pose n’est pas : « Qui suis-je ? », mais plutôt : « Combien suis-je ? ». Ces autoportraits ne sont plus des portraits mais deviennent des natures mortes.

PEINTURE (WARHOL PAR LUI-MÊME). AUTOPORTRAIT, 2010 COURTESY PACO RABANNE

La seconde partie de cette rétrospective fait également appel à un souvenir mais cette fois-ci culturel à travers une série inédite, teintée de ses souvenirs de l’histoire de l’art, intitulée Peintures. Cette transposition symbolique des chefs-d’œuvre des maîtres anciens en de grands tirages sur toile porte sur la pratique du détournement et le rapport aux différentes cultures.

Kimiko Yoshida détourne de leur usage les objets de la vie quotidienne ou de la mode, les chefs d’œuvre de l’histoire de la peinture, ses précédentes Mariées et la pratique photographique elle-même. Ancienne créatrice de mode, elle s’approprie les créations haute couture de Paco Rabanne et transforme robes, jupes, accessoires, pantalons et chaussures, en coiffes Grand Siècle, parures antiques et autres costumes historiques.

Peinture (La Jeune Fille souriant de Vermeer), autoportrait, 2007-2009 © Kimiko Yoshida

Fidèle à ses autoportraits quasi-monochromes où la figure de l’artiste tend à disparaître, la photographe convoque ainsi les grands maîtres de l’histoire de l’art : Picasso, Matisse, Gauguin, Rembrandt, Rubens, Delacroix, Tiepolo, Watteau, Vermeer… Mais elle ne contente pas d’une pâle imitation, bien au contraire. Des chefs d’œuvre dont elle s’inspire, elle ne conserve qu’un détail élémentaire, celui dont on se souvient arbitrairement lorsqu’on pense à l’œuvre originale. Et c’est cette réduction qui conditionne l’identification partielle de l’autoportrait à une peinture du passé, comme dans La Jeune Fille souriant de Vermeer.

Dans cette série, l’artiste revisite également ses propres autoportraits antérieurs. Au moyen d’objets quotidiens, elle recrée telle coiffe ou tel masque ancien provenant de collections muséales et derrière lesquels elle avait déjà mis en scène sa propre disparition.

Peinture (Ophélie de Delacroix), autoportrait, 2010 © Kimiko Yoshida. Courtesy Paco Rabanne

Il peut sembler étrange voire paradoxal de nommer une série de photographies Peintures, même si le sujet s’avère être des chefs d’œuvres de la peinture. Mais en tirant, à partir de ses originaux analogiques (prises de vue Hasselblad) ou numériques (prises de vue Olympus, pour la série Paco Rabanne), des impressions digitales sur de grandes toiles, l’artiste réalise des Peintures sans peinture, des photographies sur toile.

Peinture (Torero de Picasso), autoportrait, 2007-2009 © Kimiko Yoshida

Depuis qu’elle a quitté son pays natal, Kimiko Yoshida affine une forme de contestation féministe distanciée à travers une œuvre profondément féminine, presque hypnotique. Un regard et la fascination commence. Conditionné par l’expérience de la transformation, son art développe une réflexion très contemporaine contre les clichés contemporains de la séduction, contre la servitude volontaire des femmes et contre les identités communautaristes. Et c’est en cela que son message est universel et bouleversant…

Crédit photos : Kimiko Yoshida with the courtesy of Maison Européenne de la Photographie

Maison Européenne de la Photographie

5 rue de Fourcy 75004 Paris

Ouvert tous les jours de 11h à 20h sauf les lundis, mardis et jours fériés.

Tarif: 7 euros

www.mep-fr.org

Marie-Odile Radom

Related Articles