Home Art de vivreCulture Saga Le Meurice : Partie une, les Grandes Heures de l’Hôtel des Rois

Saga Le Meurice : Partie une, les Grandes Heures de l’Hôtel des Rois

by pascal iakovou
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Entrée du Meurice

Augustin Meurice, maître de poste à Calais, n’avait pas prévu le tunnel sous la Manche, mais il avait compris, dès le milieu du XVIIIe siècle, que les touristes anglais souhaitaient trouver sur le continent le confort et les commodités auxquels ils étaient habitués chez eux. En 1771, il ouvrit à leur intention une auberge qui leur permit de ne pas se sentir dépaysés en débarquant à Calais. De là à ouvrir un second hôtel, à Paris, au 223 rue Saint-Honoré, terminus de la diligence, il n’y avait qu’un pas. Il fut franchi sous la Restauration.

Le Meurice, vue des Tuilleries

Aux voyageurs de l’époque, l’Hôtel Le Meurice offrait un style d’hôtellerie alors inédit. Tout était fait pour faciliter la vie à l’étranger de passage : acquittement des formalités administratives, utilisation de valets de place attachés à l’hôtel, location d’appartements de toutes dimensions, mise à disposition de salons de conversation, linge blanchi au savon et battu à la main, personnel parlant anglais, bureau de change, équipages…
« Pour un voyageur anglais, aucun hôtel de Paris n’offre autant d’avantages que l’Hôtel Le Meurice », assurait une publicité de l’époque.

En 1835, l’hôtel déménagea pour s’installer sur son emplacement actuel, rue de Rivoli, dans un bâtiment neuf et luxueux, voisin du palais des Tuileries.

Velo Le Meurice

La clientèle huppée suivit. De la Monarchie de juillet à la IIIe République, l’Hôtel Le Meurice accueillit la haute société de ce temps : souverains, aristocrates, artistes, et écrivains, qui appréciaient non seulement la qualité du service, le raffinement des chambres et des salons, mais aussi l’exceptionnelle situation de l’hôtel au cœur de Paris, proche des boutiques de luxe et du centre du pouvoir. Sans doute est-ce l’une des raisons qui incita Miss Howard, maîtresse et mécène du futur Napoléon III, à s’y installer lors de ses séjours dans la capitale.

Au début du siècle, l’Hôtel Le Meurice changea de direction. L’un des actionnaires de la nouvelle société n’était autre qu’Arthur Millon, propriétaire du Café de la Paix et des restaurants Weber et Ledoyen. Afin de concurrencer le Ritz, ouvert en 1902, Arthur Millon fit appel à un grand hôtelier suisse, Frédéric Schwenter.

Sous l’impulsion des deux hommes, l’Hôtel Le Meurice fut agrandi par l’adjonction de l’hôtel Métropole, situé rue de Castiglione, puis, à l’exception des façades classées, l’hôtel fut reconstruit à neuf sous la houlette de l’architecte de la Nouvelle Sorbonne, Henri Nénot, Grand Prix de Rome.
Pour la décoration intérieure, et notamment pour les salons du rez-de-chaussée, le style Louis XVI prévalait, tandis que les chambres étaient dotées du confort le plus moderne : salles de bains, téléphone, sonnerie électrique reliant les hôtes à leurs domestiques personnels… L’ascenseur était la copie de la chaise à porteurs de Marie-Antoinette. Aux peintres Poilpot, Lavalley et Faivre avaient été confiés plafonds et panneaux évoquant Versailles, le Trianon et Fontainebleau.

De cette époque, l’Hôtel Le Meurice a conservé le grand salon Pompadour aux boiseries blanc et or, la salle de restaurant, dont les pilastres de marbre et les bronzes dorés sont un hommage au salon de la Paix du château de Versailles, le salon Fontainebleau et la verrière de fer forgé qui abritait le hall, récemment recouverte par la toile monumentale d’Ara Starck. C’est au cours de ces travaux que les ouvriers recueillirent un chien errant sur le chantier dont le personnel fit sa mascotte. Depuis, le lévrier est devenu l’emblème de l’hôtel.

Salon Pompadour

En 1935, le poète Léon-Paul Fargue répartissait la clientèle des hôtels parisiens en trois catégories : « la mauvaise, la bonne et celle du Meurice ». Parmi celle-ci, les têtes couronnées abondaient.
Le premier monarque à avoir fait du nouveau Meurice sa résidence secondaire à Paris fut le roi Alphonse XIII qui, souhaitant évoluer dans son décor familier, se faisait apporter son mobilier du garde-meuble royal de Madrid. Lorsqu’il fut chassé du pouvoir en 1931, le monarque déchu fit du Meurice son refuge et le siège de son gouvernement en exil. A sa suite, le prince de Galles, les rois d’Italie, de Belgique, de Grèce, de Bulgarie, du Danemark, du Monténégro, le shah de Perse, le bey de Tunis, prirent l’habitude de descendre à l’ “Hôtel des rois”.

Les princes des affaires comme les Rockfeller, les hommes politiques comme les présidents Doumergue et Roosevelt, le comte Ciano, Anthony Eden, et les artistes de Rudyard Kipling à Edmond Rostand, de Gabriele d’Annunzio à Paul Morand, suivirent leur exemple.

Dans les années 50, les familles royales ont peu à peu cédé la place aux discrets patrons de multinationales, aux vedettes de l’écran et aux artistes, souvent plus excentriques.
Au nombre de ces derniers, Salvador Dalí, le génie « transcendantal « de l’auto-publicité — qu’un de ses anciens compagnons surréalistes avait surnommé « Avida dollars » — fut l’un des hôtes les plus insolites de l’hôtel.

Durant plus de trente années, il occupa un mois par an l’ancienne suite royale d’Alphonse XIII dont il constellait les murs de taches de peinture, tandis que ses guépards apprivoisés se faisaient les griffes sur la moquette.
Avec lui, le personnel — qui lui était très attaché et qu’il honorait d’étrennes sous forme de lithographies signées de sa « divine main » — ne manquait pas de distractions.
Soit qu’il leur demandât de capturer des mouches dans les bosquets des Tuileries ou de lui amener un troupeau de chèvres sur lequel il tirait des balles à blanc ; soit qu’il les priât de jeter sous les roues de sa voiture, à chacun de ses départs, des pièces de vingt centimes, afin qu’il puisse se flatter de « rouler sur l’or » !
Pour un hôtel comme Le Meurice, les désirs des clients — si étranges soient-ils — ne sont-ils pas des ordres ?

Avec Dalí, un autre client hors du commun fut la milliardaire et mécène franco-américaine Florence Gould, dont les déjeuners littéraires réunissaient des personnalités aussi contrastées qu’Arletty et François Mauriac, Léautaud et Paul Morand, les Jouhandeau, Roger Peyrefitte, André Gide et le jeune Roger Nimier. Grâce à elle, l’Hôtel Le Meurice abrita l’un des derniers salons littéraires de Paris.

L’Hôtel Le Meurice n’a cessé de tisser, au travers des siècles, des liens étroits et intimes avec les artistes. Rien d’étonnant alors à ce qu’on y croise aujourd’hui la jeune génération des actrices françaises, des musiciens et des plasticiens de renommée internationale.

Hall 1 c - Peter Hebeisen

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