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Akhenaton vs Sinik l’interview

by pascal iakovou
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Akhenaton et Sinik : ce qui les éloignent, leurs régions, leurs générations, leurs flows et leurs expériences, ce qui les rapproche, le talent, leurs lucidités, une sensibilité exacerbée et l’amour du Rap. Rencontre avec un Old Timer du Hip Hop et un pilier de la nouvelle génération de rap Français.

AKHENATON

Fatima Khaldi : Pas mal d’années sont passées depuis « Sol Invectus », « Black Album » et « Revoir Un Printemps » avec IAM. Que s’est-il passé depuis ?

Akhenaton : On a surtout beaucoup tourné avec IAM, on a fait beaucoup de concerts, c’est ce qui m’a redonné envie de faire de la musique, car parfois, dans notre métier, les obligations dépassent la satisfaction. Mais comme je déteste le vide, j’ai besoin de faire des choses tout le temps. Comme j’ai beaucoup de morceaux qui ne sortent jamais, il était question de faire un street album, le studio était rempli de monde, il y avait une super ambiance, celui qui voulait intervenir était le bienvenu. Un gars de chez 361, m’a proposé d’en faire un album, je me suis dit pourquoi ne pas revoir mes basics et remettre les mains dans le cambouis ? En indépendant j’ai dû me débrouiller sur tout, ce qui n’était pas le cas en majors, j’avais pris un certain confort. On fait tout du début à la fin. Je me suis impliqué sur plusieurs niveaux, de la pochette aux clips, j’ai appris pleins de nouvelles règles… Et j’ai repris de bonnes vieilles valeurs que j’avais perdues en étant encadré.

FK : Que s’est-il passé avec le label Hostile Records?

A : On a fait un divorce de bonne entente, ce qui est bien, car ça vire souvent dans le lamentable… On a voulu se libérer d’eux, mais la contrepartie était de faire un Best Of, j’ai accepté mais sur la pochette, mon personnage est en tenue de Fast Food, car pour moi, faire un best of de rap c’est nul, ça ne veut rien dire. Le fait d’être en indépendant m’a remis les pieds sur terre.

FK : Quelle est ta place par rapport à la nouvelle scène Hip Hop ?

A : Je ne veux pas faire de paternalisme, ça ne sert à rien. Je fais un hip hop qui correspond à mon age, à ma vie, je ne tiens pas le mur comme avant avec mon bonnet comme je le faisait avant, mais ça ne m’empêche pas de faire des textes engagé avec des morceaux comme « Mots blessés » ou « La Fin de Leur Monde ». Je ne suis pas dans une technique de marketing non plus, marketer le rap c’est marketer la violence, les femmes à poil, etc.… Mais ça ne me dérange pas de voir les autres en faire, car le rap est à l’image de la société, on est dans une phase d’exagération et l’on a le rap qu’on mérite… Si on ne cherche pas à faire traverser les époques, on fait du jeunisme et l’on dit que le hip hop est pour les 10, 25 ans… Ma retraite sera dur pour vous mais pas pour moi, même si je vends deux disques, je continuerais à faire de la musique. Avec les jeunes on a la même vision mais pas la même manière de les exprimer…

FK : Peut-on penser que t’entourer de jeunes talents est une stratégie ?

A : Les Psy4 De La Rime, je les ai signés en 98, je les connais bien, et j’ai eu le temps de les développer. Ils ont beaucoup joué sur scène. Il n’y a aucune stratégie, au contraire, Psy4 me demandent de les accompagner dans les plateaux télés, comme Kool Shen l’a fait avec Salif, ils sont censurés de partout, ils sont presque nulle part, sinon ils ne veulent pas d’eux et pourtant, ils ont fait double disque d’or.

FK : Ton nouvel album est très éclectique,

A : Oui, comme à l’époque des premiers IAM, j’ai pris tous mes sons, Il y a beaucoup de Soul, Funk et Eléctro. Aujourd’hui, je réagis comme un sombre égoïste, il y a quelques morceaux qui sont dans le délire perso, comme le morceau « Comode, Le Dégueulasse » par exemple, qui est une private joke. Ce qui me plait ce n’est pas ce qui se vend le plus, même si je suis obligé de me coller aux règles du marketing. J’aimerais avoir une carrière comme Ahmad Jamal (jazzmen), à 80 ans encore sur scène. Ce qui me plait n’est pas ce qui se vend le plus. Quand il n’y aura plus la musique, je ferais du carrelage, du jardinage. Je passerais bien un diplôme de paysagiste (il sourit)…

www.361records.com

Akhenaton
« Soldats de Fortune »
(361 Records / Naïve)

SINIK

Fatima Khaldi : Tu ne souris pas beaucoup…

Sinik : Pourquoi je devrais sourire ?

FK : Ca peut arriver…

S : Non, je ne souris pas trop… Il y a des gens qui sont de nature souriante, ils ont la pêche, ils parlent. Moi je suis dans mon coin, je casse les couilles à personnes. Je ne vois pas beaucoup de raison de sourire sauf parfois quand je suis avec mes potes. C’est dans la nature des gens…

FK : Ok, bon, on a va essayer de ne pas tomber dans le piège des questions bateau, car c’est déjà fait dans ton album. À ce propos, c’est toi qui les à écrits ?

S : C’est moi qui ai demandé à Fred de me poser les questions que je voulais, je lui ai donné l’axe et il les a formulés à sa manière. Ce sont des questions qui me saoulent à force. Les journalistes te présentent toujours de la même manière, même 20 ans plus tard. C’est à cause de ça que le rap n’arrive pas à se démarquer de son image, si tu te contentes de subir ce que les gens disent sur toi, ça ne va pas.

FK : Peux-tu nous parler de tes débuts avec le groupe Amalgam

S : C’étais des potes de quartier, on squattait dans la cave, ce sont des relations de jeunes qui commencent dans la musique, après il y a eu Ul’Team Atom, mais je me suis vite rendu compte que je n’étais pas fait pour travailler en groupe, c’est pour ça que j’ai poursuivi en solo. C’étais une très bonne expérience, c’est là que tu débutes, que tu apprends sur le tas, tout est mal organisé, tout est mal, mais tout est bien avec du recul. Ce sont de bons souvenirs.

FK : Ensuite tu as créé le label Six o Nine…

S : Oui, c’est la structure qui nous a permis de sortir une Street Tape puis l’album, elle existe depuis 2001. Je suis toujours en indépendant, mais signé en licence chez Warner.

FK : T’attendais-tu à ce succès et comment l’as-tu vécu?
S : Je l’ai bien vécu, qui vit mal le succès ? Après c’est clair qu’en perdant l’anonymat tu perds aussi la tranquillité. Toute notre vie, on s’est battu pour en arriver là, ce n’est pas maintenant que je vais me plaindre.

FK : Comment tu te situes par rapport à la scène actuelle ?

S : Moi je ne néglige rien, c’est tout. C’est-à-dire la scène et tous les aspects du truc. Je suis un mec franc aussi. Ce que les gens aiment c’est la proximité, quand ils voient que tu es comme eux et que tu ne te la racontes pas c’est ça qu’ils aiment. Même si tu es le meilleur au monde, si tu n’as pas le temps pour les gens et que tu n’as pas le contact humain ça ne vaut rien…

FK : Tu fais partie de la jeune génération avec de talentueux rappeurs comme Sniper, Psy4 de la Rime, Diam’s… Quelle est la différence entre vous et l’ancienne école des NTM, Assassin ou IAM ?

S : Je pense qu’il n’y en a pas vraiment. C’est juste qu’on a pris le relais et l’on arrive avec nos idées. C’est vrai que ce n’est pas la même génération, on n’a pas le même vécu, ni le même flow. C’est comme si tu comparais Ronaldinho à JPP. Chacun a un délire que tu reconnais facilement, chacun a son propre univers.

FK : Aujourd’hui on a quand même plus tendance à privilégier le rap aux autres disciplines Hip Hop. Il n’y a plus réellement de culture…

S : Même si je suis né qu’en 80, j’ai commencé, il y a 10 ans, et j’ai touché à tout, le Graff, le Tag, le Dj’ing. Mais c’est vrai que les jeunes d’aujourd’hui ne connaissent pas tout ça. Ils veulent juste rapper, car ils veulent devenir des stars. Les mômes croient que pour le Rap ça marche tout de suite, c’est l’argent, l’alcool, les filles, les grosses voitures. Le côté culture hip hop se perd au fur à mesure car ils ne veulent plus se prendre la tête, du coup c’est vrai que ça perd un peu en qualité mais il ne faut pas généraliser. Il faut juste dire aux jeunes que le rap, ce n’est pas ça, personne ne vit comme dans les clips. Les filles sont payées, elles prennent leurs cachets et elles rentrent chez elles, les voitures sont louées.

FK : Parlons de ton nouvel album, il est encore une fois très conscient et très introspectif, est-ce une suite logique du précédent?

S : Exactement. Je n’ai pas voulu faire un album différent, je fais ce que je sais faire en essayant d’évoluer. Les sons sont différents, mais je reste fidèle à ma ligne de conduite. Je préfère parler de moi que des autres et avec ma vie, j’ai de quoi faire.

FK : Si j’ai un reproche à te faire, c’est celui d’être le rappeur qui parle le plus du mal être de sa génération, c’est bien ! mais as-tu l’intention d’être un peu plus optimiste dans tes prochains titres ?

S : Plus je t’écoute et plus je me demande si tu as écouté mon album, car justement j’ai fait un titre avec Bachir qui s’appelle « Un Monde Meilleur ».

FK : j’ai très bien écouté ton album, effectivement il y a ce titre, mais l’ensemble est assez triste tous de même.

S : Je suis comme ça dans la vie, je ne vais pas me forcer à être plus optimiste. J’ai fait un morceau pour essayer de rééquilibrer, mais je ne vais pas en faire plus car il y a tellement de choses qui vont mal… Le jour où tout ira mieux, je me casserais dans le Sud…

Sinik
« Sang Froid »
(Six O Nine/Warner)

Propos receuilli par Fatima Khaldi

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